La Rédemption du Bodylove

Après le mal, un rite de repentir ?
Heart va-t-il se sacrifier pour l’Amour ?
Couverture Mort parce que Bête
… Pour remonter jusqu’aux paroles liées à cette émotion vraie d’une caresse, ce que je voulais ressentir auprès des participants de Sincerlove lorsqu’ils avaient atteint le niveau 6, afin que ces paroles ou ces mots me reviennent, j’ai eu l’idée d’utiliser, en plus de la carte graphique, ma nouvelle carte son, scellée sur ma hanche et reliée à Patate. Mon raisonnement se base sur le fait que Patate détiendrait des émotions que je n’ai peut-être jamais pu formaliser. Des bribes de ces émotions auraient été saisies dans Patate. Si je fais rejaillir et résonner ces traces émotionnelles dans certaines zones de mon corps et de mon système nerveux, je recouvrerai peut-être et pourrai prononcer des paroles qui y sont associées, des paroles ou des mots, des syllabes éventuellement, qui transiteront par ma carte son. Oui, mécaniquement, ensuite, je pourrai exprimer ces paroles vraies. Et s’il s’agit par exemple de choses que je voulais dire à mes parents, je pourrai alors le faire, leur répondre, leur révéler à eux comme à tous ceux que j’ai aimés. J’ai prévu de les enregistrer avec un dictaphone, ensuite je les récrirai dans Le Petit. Faire revenir, pour les graver, ces mots qu’ils auraient dû entendre, ces mots d’amour pas encore révélés que je porte en moi et qui semblaient morts pour toujours, ces paroles en réponse à l’amour des autres, des mots gentils. Ces paroles qui m’ont nourri, bloquées dans mon corps, empêchées par la haine, des paroles envers et contre tout… On aime comme on n’a pas été aimé. À partir de ce que je récupérerai, j’ai préparé une succession de codes numériques qui me permettront de concevoir l’antidote, le vrai sens de mon amour. Cet antidote est en fait un programme complémentaire à la définition cryptée du virus : une fois la saloperie repérée, l’antidote va le fixer et remplacer les mots intoxiqués par des mots sains. Et voilà.
À titre d’expérience, j’ai réalisé cette nuit un raccordement de mon corps aux ordinateurs via ma carte réseau. Jo sert de filtre, car je ne maîtrise pas encore les échanges à haut débit. Pour l’instant, je n’ai procédé qu’à de petites impulsions, ce n’était qu’un essai. Lors des premiers échanges, je me suis senti partir en douceur, comme dans un ascenseur à l’instant du décollage, mais ensuite le résultat m’a étonné, j’ai été transporté par un sentiment de fougue, une puissance circulait dans mon corps, puissance similaire, beaucoup plus forte cependant, à l’énergie qui m’envahissait étant jeune lorsque j’entendais certaines musiques électroniques. Ces forces étaient telles que je devais gesticuler dans tous les sens pour évacuer l’énergie dont j’étais alourdi. Par curiosité, j’ai enregistré les premières données renvoyées par Patate durant la nuit, et ce sont toujours des représentations comme des images de rêves. Au seuil de ce monde inconnu que je m’apprête à découvrir, une crainte m’obnubile : et si je ne découvrais que de la haine, de la méchanceté, de la torture comme ce que j’avais connu par la suite, notamment avec ma mère qui en pleurant certains soirs venait me brûler des parties du corps avec son briquet ou de la cire chaude qu’elle m’étalait en plaques sur le corps comme une pommade tout en me racontant que dans la vie j’en verrai d’autres. Vous parlez de caresses ! Je me souviens bien des emplacements, car la peau y a conservé une douceur, j’ai d’ailleurs profité de la fragilité de l’épiderme à ces endroits pour y greffer les composants. Ne découvrirai-je que du monstrueux, du vil, de la méchanceté. Et s’il n’y avait rien ? S’il n’y avait jamais eu d’amour durant mon existence, est-il possible que j’aie pu vivre sans avoir reçu aucune parole réconfortante, chaleureuse. Mais ils m’avaient nourri, il y avait bien quelques sentiments qui s’étaient glissés dans un regard derrière un biberon, il y avait bien eu de la tendresse lorsqu’on m’habillait, lorsqu’on préparait mon petit déjeuner, ou des pensées affectueuses lorsqu’on faisait les courses et que l’on choisissait ce que j’allais manger, ou des jouets, c’est impossible qu’il n’y ait eu que des pensées négatives, que du mépris. Cette crainte prend rapidement une tournure dramatique dans mon imagination. Est-ce que Nicole m’aurait aimé si je n’avais jamais été aimé, ne serait-ce qu’un quart de seconde, le temps d’un coup d’œil durant mon enfance ? À moins que tout cet amour ne me vienne simplement et uniquement de Nicole, que ce soit elle qui m’ait initié à l’amour. Patiemment j’aurais attendu notre rencontre et jusqu’à ce jour j’aurais vécu grâce à l’anticipation de notre amour, dans un vide rempli uniquement par l’espoir de la connaître et de vivre enfin avec elle. Est-ce qu’on peut attendre quelque chose que l’on n’aurait pas un minimum en soi ? Est-ce qu’on peut mentir à ce point et se croire rempli d’un amour qui ne serait que de la haine ? Pour qui je m’étais pris, en quoi j’avais le droit d’exiger des autres des caresses ? Des caresses sur mon corps, sur ma peau.
Dans la boîte d’envoi de Big Brain, je classe les adresses e-mails des personnes auxquelles il faut envoyer le message de secours. Gabriel Mangin va être content, satisfait, je vais tout rattraper, pas de faux pas, pas de fausse note, je ne construis pas un nouveau cadre dans lequel je vais développer une autre folie, je vais trouver de quoi faire émerger cette pensée d’amour sans l’influencer. Je n’aurais jamais cru être capable d’une telle chose, je reprends espoir, un espoir pour quelques jours, un espoir pour un mois. Tant pis, cette nuit je vais tenter un raccordement sensitif à haut débit, je devrais tenir le coup…
… Un mot peut tout faire basculer si nous le remplaçons, il faut que ce soit le même mot, le même mot, mais autrement… Il a compris Jo, sans lui je ne pourrais plus penser, il a compris, il prend les choses en main, il m’aide. Avec lui et les autres, nous allons faire du bon travail. Gabriel Mangin vient demain, demain il faut que j’aie avancé. Ça va me faire crever, il va me faire crever, tout cet amour à remettre en e-mails. Quelle force il va me falloir pour préparer ce mailing géant.
Je vais créer un fichier à télécharger, ce fichier ce sera moi, mon corps, un fichier nommé « Bodylove »

VC.