La Désolation des singes

Tarik Noui Couverture La Désolation des singes
Parc Édition
Titre
La Désolation des singes
Auteur
Tarik Noui
Collection
Morsure, 135 x 195
Type
Roman
Taille
112 pages
ISBN
978-2-91-201018-6
Publié

Présentation

La Désolation des Singes s’organise de façon rhapsodique autour d’un lieu « mythique » : l’Usine, mais une usine métonymique de l’asservissement généralisé des corps. Prophète concupiscent du présent extrême, Josu use des machines et abuse des corps. Jusqu’à l’inexorable prise de conscience des inconvénients qu’incarne son pouvoir de mâle.

Ce récit beau et rude raconte une surprenante liaison : la rencontre entre l’animalité du corps et la machine qui se profile à l’horizon contemporain.

Tarik Noui, vingt-neuf ans, signe, avec La Désolation des singes, son deuxième roman. Depuis il a publié La Treille des négriers (Melville, Léo-Scheer, 2006) et Serviles Servants, (Léo Scheer, 2007).

À lire également sur notre site, un texte inédit de Tarik: Ma langue sur le trottoir

Extraits

L’intérieur des baraquements… Là se terrent maintes fouillasses engrossées. Huileuses désossées sur des divans, le corps encore tremblant, trempé d’odeurs de nitrate. S’empêchant de gratter leurs visages. Le torse ou les jambes. Certains mettent des morceaux d’étoffe au bout de leurs doigts pour ne pas s’arracher la peau. D’autres épient la plaine en se grattant. Creusent la peau. Jusqu’à l’os. Assis. Des enfants essayent de dormir, le visage figé par les dernières vagues de braises de la forge. Pleurent. Ils ne peuvent faire que ça. Avoir faim. Avoir froid. Être malade, mourir ou pleurer. Ils ne peuvent faire que ça. Attendre que vienne les chercher le croque-mitaine d’acier et de sang. Qu’il vienne les perforer d’un éclat de ses doigts. Longue liturgie de la patience qui les verra se tordre dans toutes les douleurs avant de revenir au linceul blanc, celui qui fut le même, celui qui fut de la même étoffe que le linge de leur naissance. Un organdi, étoffe apprêtée dans la sanie de leurs pères. Dans la pièce à côté, ou ce qui sert de pièce, plutôt une sordide chapelle ardente élevée pour le massacre de l’amour, des jeunes ouvrières assises en tailleur sur des tapis défraîchis se touchent mollement la poitrine. La redressent. Vont sortir. Le bal des pelés. La gigue à l’emplâtre. Finiront, si tout va bien, derrière la banquette d’une voiture, le groin écrasé contre les bourseaux d’un autre ouvrier, peut-être plusieurs, peut-être tous, peut-être le prolétariat rampant en cadence dans ce qui n’est plus qu’une tubulaire présence en attente de saillie. Le barbideau écorché. Elles rentreront avec, dans la panse, une progéniture vérolée sortie de la matrice encore maternelle pour directement aller se poster dans les rangs, remontée comme un petit singe mécanique jusqu’à l’épuisement du ressort. Mise en miettes du mécanisme, remplacé par un autre mécanisme. De matrice à matrice. »
« Ce n’est pas les bals qui manquent. Les femmes et les hommes qui vont se repaître d’amour. Se mettre nus sous les lampions des bals. Découvrir enfin ce corps, viande tétanisée. Les femmes ouvriront leurs cuisses, écarteront leur corsage, offriront enfin l’unique nourriture des vainqueurs. Et dans la nuit, dans le jour, des hommes ivres iront laver la fatigue de plusieurs années de travail dans la salive des bouches et dans les menstrues, sang qui ne coulera pas d’une blessure cette fois, mais bien d’une saillie rédemptrice. Le grand gagnant sera le sexe.
La souffrance appelle une requête païenne, antique, appelle le sang d’un holocauste. On voudrait réveiller d’autres dieux. Ressusciter les cultes du soleil. De la terre. Faire l’amour avec les éléments et enfouir sa semence dans la terre…
Je le garderai, ce désir, je lui ferai un minaret blanc avec des colonnes massives, percées jusqu’au nadir de la terre […] Pour garder le désir, il faut être plus fort que le désir des autres… Oui. J’en suis capable et ainsi de suite, jusqu’à devenir le désir d’un autre, jusqu’à devenir le petit monstre fatigué d’autrui.
Le « malheur » aura fait « une collée entre nous et l’espèce à venir… tenue par l’ingénierie d’une nouvelle genèse. »