La Misère du patrimoine végétal en France

Édouard, en 1969, coopérant à Abidjan, architecte paysagiste de Cocody

Édouard d’Avdeew
1944-1992
Ingénieur Horticole - Paysagiste
Président de SAVE (Association pour la sauvegarde du patrimoine végétal en France) - 1988-1992

face à la politique écologique en France
interview réalisée en 1990 par John Gelder

…la pollution nucléaire est ou absolue ou inexistante, selon le côté où l’on se place : il n’est pas contestable que s’il y a d’autres accidents tels que Tchernobyl, quoi que l’on fasse, on sera anéanti.
… car, quoi qu’il advienne, on n’arrivera jamais à détruire intégralement le monde végétal, mais avant, c’est vrai, en le détruisant suffisamment, on risque de se détruire soi-même, ce qui n’est pas la même chose

La misère du patrimoine végétal en France

Il n’y a pas en France d’interlocuteur intellectuellement et professionnellement valable dans l’aménagement de l’environnement. Cet aménagement est fait au coup par coup, soit par des gens dont la compétence est contestable, soit par des gens qui sont des prestataires de services pour des grands groupes financiers et qui ne se soucient pas de détruire un environnement quel qu’il soit.

Pour renverser cette tendance, la formation des jeunes est fondamentale ; plus tard ce seront eux les prescripteurs, et si on ne fait pas en sorte qu’ils soient capables de l’être rapidement, il ne faudra pas venir se plaindre de l’environnement qu’on aura.

On n’enseigne plus de botanique

Dans les autres pays on a respecté l’environnement beaucoup plus qu’en France. En France nous sommes des latins, dans le mauvais sens du terme, des latins destructeurs. On croit qu’une cage à poule vaut mieux qu’une jolie forêt. On n’explique pas qu’une forêt a besoin d’un minimum d’espace pour être viable. Une autoroute doit être construite, on coupe la forêt en deux. On veut aménager des habitations, on tronque inconsidérément la forêt. On ne se soucie pas du devenir du monde végétal en France. En aucun cas. Autrefois on s’en préoccupait, au siècle dernier, mais maintenant on ne s’en soucie plus. Cela est dû à plusieurs raisons. Des raisons politiques, des raisons économiques, considérations - qu’on le veuille ou pas - courtes, de courte vue et à court terme. Il suffit d’aller en Angleterre pour constater qu’une ville n’est pas forcément l’équivalent de la destruction de ses éléments naturels…

Mais il y a d’autres mauvaises raisons, qui deviennent de plus en plus flagrantes ; on n’apprend plus de botanique dans aucune école en France. Que ce soit à Versailles où on ne fait plus ou très peu de botanique, ou bien que ce soit dans les universités, où les cours de botanique ont été quasiment tous supprimés les uns après les autres. Et comme il n’y a plus de cours de botanique, il n’y a plus de connaissance botanique, il n’y a donc plus de vulgarisation de végétaux.

Pourquoi ?

Parce que depuis quelques décennies les Ministères successifs de l’Éducation Nationale considèrent qu’il vaut mieux former des électroniciens. Cela se justifie jusqu’à un certain point, compte tenu du retard pris en France sur le plan de la formation professionnelle. Il était évident qu’il valait mieux former des ingénieurs électroniciens ou des mathématiciens que des botanistes. Mais aujourd’hui on souffre de manière dramatique du manque de "professionnels" de la botanique en France.

L’environnement, un luxe ?

Au contraire. L’environnement végétal existait avant nous. Mais vous avez raison, si on continue tel qu’on le fait actuellement, tel qu’on le détruit, en effet, les trois arbres qui resteront, ce sera un luxe ! Que constatons-nous ? On fabrique des cages à poules en rasant les forêts, on construit des bâtiments parce que le terrain y est moins cher. Actuellement on obtient des dérogations, par exemple, dans le domaine des permis de construction de golfs ; il y a aujourd’hui une espèce de folie des golfs, non pas parce que les gens veulent jouer au golf, mais parce que si on construit un golf on déroge au permis de construire. Moyennant quoi, sans permis, on y érige des club-houses et un certain nombre de bâtiments, toujours sans permis de construire. Cela, c’est malheureux à dire, les Français le comprennent tout de suite : l’argent qu’ils peuvent faire sur l’environnement. Mais ce n’est pas pour protéger l’environnement, ce n’est pas pour favoriser le développement du golf, c’est uniquement parce qu’ils s’aperçoivent qu’il y a de l’argent à gagner.

Y-a-t-il une politique de l’environnement végétal en France aujourd’hui ?

La politique de l’environnement se veut une politique d’écologistes, Or, les écologistes ne respectent pas forcément l’environnement. Les écologistes prétendent lutter pour l’amélioration de l’environnement, Je dis bien prétendent. Mais leur lutte se plaçant prioritairement sur un pian politique, ou politicien ; je ne crois pas qu’ils "regardent" un arbre et se soucient d’un arbre. Ils se soucient des voix qu’ils vont obtenir mais pas du végétal. S’ils se souciaient un peu plus des végétaux, ils participeraient depuis longtemps à des manifestations pour les protéger, Ils protègent l’environnement contre la pollution industrielle, oui, ils protègent l’environnement contre les pollutions nucléaires - ce qui est déjà contestable, à mon avis, parce que la pollution nucléaire est ou absolue ou inexistante, selon le côté où l’on se place : il n’est pas contestable que s’il y a d’autres accidents tels que Tchernobyl, quoi que l’on fasse, on sera anéanti, En réalité, l’expérience le montrera ou non, la pollution d’une centrale nucléaire n’est pas épouvantable, mais à condition de prendre un maximum de précautions au bon fonctionnement et de pallier l’incurie humaine.

Des verts pas très verts

Contrairement à certaines actions des verts allemands, je n’ai jamais entendu Monsieur Waechter parler de végétaux. Jamais ! Je ne l’ai jamais entendu parler de la médiocrité de notre environnement végétal urbain, du manque d’oxygène, du problème de la taille sauvage des arbres à Paris. Ou alors, je l’ai mal écouté. Jusqu’à présent, je n’ai rien vu de positif sortir de l’action des verts en France. Peut-être s’attaquent-ils à des problèmes de structure, je l’espère, mais sur le plan concret, c’est-à-dire sur le plan de notre environnement direct, je ne vois pas grand chose ; je n’ai pas entendu de proposition de loi émanant des verts, obligeant à une certaine densité de plantation par rapport à une certaine densité de construction, ou des propositions propres, justement, à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. Je ne les ai jamais entendus parler de ça : ou alors, de façon tellement confidentielle qu’il n’y a qu’eux qui soient au courant…

On peut être atterré par la destruction systématique consécutive à l’aménagement des villes. Cela ne correspond à aucune logique. Il suffit d’aller en Angleterre pour constater qu’une ville n’est pas forcément l’équivalent de la destruction de ses éléments naturels. En France, chaque fois que l’on construit une ville on détruit la nature. . En Angleterre on la sauvegarde. Là-bas, si un arbre se trouve placé juste sur l’axe d’une route, et bien la route fera le tour de l’arbre. En France, on rasera l’arbre. Je n’ai jamais entendu dire les verts quoi que ce soit à ce propos.

La France n’aimerait-elle pas les arbres ?

Non, parce qu’il parait que les arbres tuent ! Les arbres se précipitent sur les pauvres voitures qui roulent à 150 à l’heure sur les routes (départementales ou non) et tuent les automobilistes ! J’ai lu de semblables âneries : les arbres tuent. Il faut donc les couper ! Les routes nationales qui étaient bordées d’arbres, qui avaient du charme, qui protégeaient du soleil ou du vent ont été détruits parce que les arbres tuent...

Prise de conscience contre les vœux pieux

La priorité des priorités est de faire prendre conscience aux jeunes de ce problème, parce que ce sont eux qui demain géreront le pays. Respecter une forme de vie qu’est le végétal constitue une manière de civisme, et tant que l’on vivra en se moquant des valeurs civiques et des valeurs morales - et cette société en est malheureusement un exemple sur tous les plans - la politique est souvent corrompue, l’économie cède très facilement aux sirènes du profit "marchand ", aucune solution ne sera trouvée. Je crois que si les jeunes étaient conscients que c’est une valeur civique et une valeur morale que de respecter un élément vivant comme un végétal, ou comme un chien, ou même un être humain… Eh bien, si un tel civisme les portait, nous courrions moins de risques. Or, cette prise de conscience, aujourd’hui, elle n’existe pas.

Ce n’est pas, en effet, avec trois personnes soucieuses du végétal, ou de quoi que ce soit d’ailleurs, qu’on peut remuer un pays et rompre ce carcan de conventions et d’immobilisme. Il faut être des milliers et particulièrement des milliers de jeunes. C’est à eux de montrer aux parents qu’on ne bute pas un arbre avec un parechoc, qu’on peut rouler un peu moins vite sur les routes si on n’a pas envie de se jeter contre un arbre. C’est aux jeunes de modifier ces raisonnements fallacieux qui font dire qu’on ne peut pas planter nos avenues sous peine que les arbres se précipitent sur vous et qu’il vaut donc mieux les arracher. Et quantités d’éléments semblables. Parce que les arguments fallacieux, les idées à courte vue sont partout, pour les voitures, pour l’industrie ; ce sont toujours de très bons prétextes, de très bonnes excuses pour sacrifier l’environnement. Mais ce ne sont que ces prétextes et des excuses.

Science sans conscience : un problème de société

La sauvegarde du patrimoine végétal est donc un problème d’esprit civique, un problème de conscience, "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme", disait Rabelais. Rien n’est plus actuel et vrai. On ne peut continuer à faire de la science au mépris ou monde vivant, ce l’environnement vivant qui existait avant nous qui plus est, et donc devrait avoir priorité. En France, ce discours est encore considéré comme rétrograde, parce qu’il est beaucoup plus sympathique aux oreilles des Français de parler de revendications salariales, de revalorisation des revenus pour les uns et pour les autres, c’est tout à fait ce qui nous harcèle à longueur de journée ; parler de l’environnement, être extraverti et parler des arbres qui, eux, ne parlent pas, ça paraît énorme. Et pourtant ce qui est énorme c’est d’en si peu parler

Les budgets, les projets d’espaces verts ne manquent pas

Ce qui est fâcheux dans notre pays, c’est qu’on semble donner une prime aux gens vénaux. Quand on propose des choses simples et utiles, sans soucis financiers, sans soucis personnels, on n’est pas crédible, on n’est pas suivi. Soi-disant parce que ce n’est pas "vendeur". Parce que les arbres ça ne fait pas un tabac !…

Donc, un vrai projet de sauvegarde du Patrimoine végétal ne peut réussir que s’il y a une prise de conscience individuelle. Je vais donner un exemple que j’ai vécu enfant. Pourquoi me suis-je intéressé aux végétaux depuis l’âge le plus tendre ? Parce que j’avais la chance d’avoir eu des instituteurs, puis des professeurs amoureux des plantes. Ils passaient leur jeudi (jeudi à l’époque était jour de congé) à nous emmener en train, dans des conditions difficiles, parce que prendre le train pour aller à Ville d’Avray ou à Garches dans le but d’aller voir des plantes, pour des petits banlieusards dont j’étais, était exceptionnel, c’était du rêve ! Je crois que si un certain nombre de professeurs de sciences naturelles - s’il en existe encore -, prenaient sur eux même d’être de bons éducateurs, d’emmener leurs élèves voir des végétaux autrement qu’au Jardin des Plantes, où ils sont mourants, et leur montraient la nature dans toute sa conception, c’est-à-dire le monde animal et minéral associé aux végétaux, ou encore des endroits peu pollués ou naturels tels certains sites de la forêt de Fontainebleau ou de celle de Rambouillet, petit à petit, puis très vite on créerait une émulation et très vite également les jeunes s’intéresseraient de nouveau au monde végétal.

Uniformité des régions

On peut aller du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest de la France, il y a un mimétisme dans le mauvais sens du terme qui fait – à quelques rares exceptions près - que le jardin du Sud ressemble à celui du Nord qui ressemble à son tour au jardin de l’Ouest qui ressemble à celui de l’Est. C’est-à-dire qu’on trouye des Thuyas pupra dans le midi, on les retrouvera en Bretagne et ailleurs. Les maisons s’uniformisent, le végétal suit. Bientôt on aura beau aller en Alsace, on ne verra plus ni l’habitat alsacien, ni les paysages de conifères caractéristiques de l’Alsace ; on ira en Bretagne et on ne trouvera, à part chez quelques privilégiés, plus les plantes natives ou capables de pousser en Bretagne. Dans le midi le problème est identique ; les haies de thuyas ont remplacé les haies de Cyprès, pour des raisons diverses, des raisons de maladie certes, mais surtout parce que des thuyas, ça pousse plus vite, parce que c’est plus facile à planter, parce que ça coéte moins cher, en argent, en imagination.

Le Sud-ouest, quant à lui, est un cas étrange, il est étrange, en effet, il est étonnant qu’on ne trouve quasiment pas de jardin de Bordeaux jusqu’à Bayonne, alors qu’il règne là un climat relativement privilégié, idéal pour les jardins, Pourtant il n’y là pas de jardins !

Carence paysagiste

Le problème du paysage en France est un problème crucial. La plupart des jeunes sortant de Versailles et, particulièrement sortant du Paysage, et qui sont ensuite lancé sur le marché, qui travaillent dans des ateliers de paysagistes ou chez des architectes, ne connaissent pas les végétaux. Il en résulte que très rapidement les architectes s’en sont aperçus, les décideurs s’en sont aperçus et la réaction a été ; on confie tel espace vert à un architecte ou on le confie à un bureau étranger plutôt qu’à un paysagiste. Malheureusement, c’est comme ça que ça se passe.

Exemple "anecdotique" mais révélateur de cette carence, Une propriétaire, boulevard Foch, possède un petit jardin en façade, une centaine de m2. Il y a un arbre. La propriétaire fait venir un paysagiste, Elle est curieuse - ce qui est bien - de savoir quel est l’arbre qui orne son jardin. Elle le lui demande, Le paysagiste lui dit ; "Madame, c’est un cercis". Cercis, c’est l’arbre de Judée, il possède une petite feuille caractéristique ronde, floraison rose au printemps. Ce qui fait la particularité de l’arbre de Judée, c’est que les branches conservent les gousses sèches des fruits. Vraiment c’est un arbre qu’on ne peut confondre avec aucun autre. Et bien, en fait, c’était un abricotier ! Le client était surpris parce que je lui ai dit que c’était un abricotier, mais comme auparavant quelqu’un lui a dit que c’était un arbre de Judée, elle a dû penser, à juste titre, " l’autre ne le sait certainement pas plus que le premier". Elle a été surprise de voir des fleurs et ces abricots sur son arbre.

C’est quand même dramatique que des paysagistes diplômés se rendent sur un chantier et font table rase des choses. Il est inadmissible qu’on n’observe pas un minimum d’identification et de "respect" pour ce qui est des végétaux. Comment veut-on que ces gens fassent le travail préliminaire s’ils ne sont pas capables de reconnaître trois plantes, en particulier un cercis et un abricotier. Cet exemple, qui est extrême, n’est hélas pas exceptionnel.

Alors, pour simplifier on rase. C’est beaucoup plus facile. On rase tous les végétaux et on replante des choses qu’on connaît. En d’autres mots, pas grand-chose. On prend des trames standards et on replante les végétaux déjà utilisés précédemment, et ainsi de suite. Sans faire de recherche, ni de climat ni de sol ni de végétal rare capable d’être planté dans tel ou tel endroit. Cette raison affligeante explique la banalité de la plupart des plantations.

On peut multiplier les exemples. La carence paysagère est toujours là. Dans telle propriété importante un paysagiste de notoriété intervient. Les végétaux l’ennuient. Il s’est pourtant soucié, d’une façon très efficace et d’ailleurs remarquable de faire tout l’aménagement du pied de maison, sans manquer d’idées et d’originalité. Or, tout le reste du jardin qui ne l’intéressait pas, il le fait remplir au moyen de plantes de bords d’autoroutes. Petit à petit, nous avons été amenés à enlever une par une ces plantes dites de remplissage. Le paysagiste avait une excuse : se protéger des voisins. Mais il aurait pris un végétal intéressant, il aurait obtenu le même effet. Généralement on se soucie ainsi de l’immédiat, pour le reste on plante vraiment le tout-venant, par lignes, par séries sans chercher la moindre originalité. Cela prouve toujours la même chose ; les gens n’aiment - ou ne connaissent - pas assez les végétaux pour faire jusqu’au bout une démarche qualitative. Manifestement les professionnels ne connaissent pas assez les végétaux. Et, par conséquent, les amateurs, les propriétaires de jardins ou les particuliers ne les connaissent pas plus. Et tout cela parce qu’on n’apprend plus la botanique dans les écoles de paysage, on ne l’apprend plus dans les universités ni dans l’enseignement secondaire et primaire. On fabrique des gens qui passent à côté des végétaux, qui ne les voient pas.

Créer des postes de paysagistes est une chose tout a fait intéressante. Mais si on crée des postes de paysagistes sans créer une structure pour les former, cela ne servira à rien. II y a quelques années, il y avait une mode et une vogue : les villes nouvelles. Beaucoup de nos collègues d’alors ont pris des postes - au sortir de leur promotion - dans des bureaux d’études pour ces villes nouvelles. Je peux vous affirmer que la plupart des études et des projets, du travail énorme qui a été fait pour l’aménagement des villes nouvelles, a été foulé aux pieds et, bien entendu, respecté en aucun cas. Encore une fois, la responsabilité des ministères successifs de l’Éducation nationale a joué ici un mauvais rôle ; non sans raisons sans doute, on considère qu’il vaut mieux former des ingénieurs électroniciens, des mathématiciens que des botaniste ; priorités industrielles obligent… Oui, tout ce travail - travail de mise en situation des bâtiments, des espaces verts - a été détruit, pour des raisons diverses : financières, faisabilité, opportunités politiques. Donc, il ne s’agit pas de créer uniquement des postes de paysagistes. Il faut encore qu’on les écoute - donc qu’ils soient compétents (c’est tout le sens de la réforme indispensable des structures de formation) et qu’ils deviennent de vrais interlocuteurs ayant un pouvoir, plutôt que d’être de mauvais interlocuteurs faisant le jeu du ou des pouvoirs.

Le milieu professionel en aval

Il manque à ce milieu une solide connaissance de base. Et c’est pour cette raison qu’il existe toujours cette injonction infernale ; le client - particulier ou entreprise - demande un végétal, le pépiniériste répond qu’il ne le cultive pas parce qu’on ne le demande pas. C’est-à-dire chacun se rejette la responsabilité. Donc le paysagiste dit, je n’ai pas proposé ce végétal parce qu’on ne le trouve pas et le pépiniériste dit, je ne le cultive pas parce qu’on ne me le propose pas. Il faut rapidement briser ce cercle vicieux. Comment ? Par l’enseignement la recherche en botanique, en horticulture, en physiologie végétale, en écologie appliquée et en création de jardin et paysages, [Une association comme SAVE pouvait et devait jouer ce rôle, en permettant à chacun de s’exprimer, de fournir des cas d’espèces et de proposer des solutions nouvelles]

Détruire les préjugés ou détruire la planète ?

C’est le problème, celui de l’éducation d’abord – plus généralement celui de l’information. La sensibilité doit intervenir depuis l’enfance, à partir des premiers éveils de l’enfant. Si l’enfant a un professeur qui l’emmène voir des bêtes, qui l’emmène voir des plantes ou qui l’emmène dans une ferme (il en reste quelques-unes) il ne dira pas des choses énormes sur la nature. Comme par exemple que le lait ça vient des bouteilles. Vous interrogez des enfants et ils vous diront que le lait ça vient des bouteilles et que les œufs sont fabriqués en usine. Demain se contenteront-ils de croire que les bébés sont fabriqués en éprouvettes ? Cela prouve que science n’est pas connaissance et encore moins conscience. Le travail à faire est donc énorme.

Le végétal mangeur d’oxygène dans l’habitat :
Voilà un autre préjugé qui a la vie dure (notamment en milieu hospitalier) ; les plantes mangent l’oxygène de l’atmosphère et sont donc néfastes pour la santé dans un lieu fermé ! C’est quand même effrayant d’entendre dire des choses pareilles. Les adultes le disent, donc les enfants le croient. On ne leur apprend pas en quoi consiste la fonction principale du végétal. Alors, pour les enfants le végétal n’a pas la moindre importance, il n’est que gênant. Il faut ramasser les feuilles, c’est tout ce qu’ils voient. Ils n’imaginent pas que le végétal participe essentiellement à notre atmosphère et que s’il n’y avait pas de végétaux, on n’existerait pas. Parce que ce sont justement les végétaux qui fabriquent l’oxygène, ce n’est pas nous ! Nous, nous en consommons. Donc le respect de notre devenir passe précisément par le respect intelligent des végétaux. Sinon on ne pourra bientôt plus respirer. S’il n’existait pas une masse végétale suffisamment importante il n’y aura plus d’oxygène sur la terre.

Et le problème de l’Amazonie en est une illustration dramatique . Évidemment les Brésiliens s’en moquent ! Nous, on a fait pareil il y a des siècles. On a détruit notre forêt primaire, alors on est mal placé pour donner des conseils aux autres. On est mal venu de leur dire de ne pas détruire leur forêt primaire puisque nous nous sommes enrichis grâce à elle. Il n’en reste pas moins que si on détruit la forêt d’Amazonie, qui est une réserve fondamentale, on détruira totalement l’équilibre de la planète. Sur une quantité de plans ; sur le plan de l’eau potable, sur le pian de l’oxygène, sur le plan de l’équilibre de notre écosystème planétaire, bien sér. Cela, personne ne veut sérieusement l’envisager, pourtant c’est comme ça. Et nous ne pourrons pas nous y opposer. Même si le Brésil décide de raser toute sa forêt pour y planter du mais ou y extraire des minéraux, nous ne pourrons, hélas, pas nous y opposer…

Faire peur ?

Il ne s’agit pas de faire peur, il s’agit de s’informer. Si on ne sait pas à quoi sert un "arbre", si on ne sait pas comment il fabrique de l’oxygène, on ne le respecte pas. On ne peut pas respecter ni comprendre les choses que l’on ne connaît pas. C’est par la connaissance que vient le respect, donc la survie.

Certains végétaux ont une telle activité, une telle intensité de photogenèse qu’ils enrichissent considérablement l’atmosphère ambiante en oxygène. Ils sont alors un peu comme un stimulus, un dopant, l’équivalent en quelque sorte d’un masque a oxygène à l’hôpital. L’idée qu’une plante peut avoir une influence sur le climat uniquement par son pouvoir de photosynthèse, on ne l’imagine pas, Exemple des peupleraies dans le Nord de la France ; froides, brumeuses, brouillardeuses, parce que les peupliers ont un effet de photosynthèse intensive et abaissent la température ambiante, créant cette espèce de brume et de zone froide. Si on n’apprend pas ça - et d’autres choses - aux gens, comment comprendraient-ils quoi que ce soit des actions habituelles aussi élémentaires à la vie. Pour ma part, j’ai beaucoup plus confiance dans la propagation intelligente et dynamique de la connaissance que dans le brandissement de menaces et dans la peur. Ce n’est pas la peur mais la connaissance qu’il faut développer. Il faut faire savoir que la plupart des hormones ont été découvertes chez les végétaux, également les hormones qui nous concernent nous, les humains. C’est un milieu vivant fondamental, qui peut nous apporter des milliers de choses si on le respecte. Et si on ne le respecte pas, alors oui, nous disparaîtrons avant lui, car lui retrouvera sa force après notre disparition. Car, quoi qu’il advienne, on n’arrivera jamais à détruire intégralement le monde végétal, mais avant, c’est vrai, en le détruisant suffisamment, on risque de se détruire soi-même, ce qui n’est pas la même chose !

Annexes

Edouard d’Avdeew en 1988
Edouard d’Avdeew en 1988 (photo: Michel Waxmann)

Rencontre des membres de SAVE à Courson vers 1990

Interview audio transcrite sur cette page

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